25, au zénith: fidèles du Toddé, un aigle de Bonelli juvénile et la foultitude des voiliers

Aigle de Bonelli, juvénile en plumage frais, à la verticale des brousses entre Khant et Toddé
2015 10 25, 12h51 / © Photo par Frédéric Bacuez

* A la verticale des brousses de Toddé et du Khant-sud -

Avec Etienne Henry et Abdoulaye Sow.
A pied. Depuis 'l'arbre d'Ornithondar'...
Temps: impitoyablement chaud et moite, au zénith... Allah est miséricordieux, l'ombre précaire de l'arbre totémique d'Ornithondar permet de souffler...

MIDI, 12h10-12h50-
L'heure obligatoire de l'ombre précaire... La brousse fait la sieste, mais levez les yeux, le ciel s'anime, les thermiques font la spirale ascensionnelle, ce sont les deux merveilleuses heures du ballet aérien de nos grands voiliers - cigognes, pélicans, vautours, grands rapaces, anhingas, grands cormorans. Tous dans l'ascenseur. Et l'ornithologue à terre, qui se tord le cou mais reste bouche-bée. Ici comme là-bas.

Vu:
  • Grand cormoran à poitrine blanche (phalacrocorax carbo ssp. lucidus, white breasted cormorant), 240+ ind. [12h28-31]
  • Pélican blanc (pelecanus onocrotalus, great white pelican), ~300 ind. [12h16-24]
  • Pygargue vocifère (haliaeetus vocifer, african fish eagle), 2 ind. - un ad. et un immature [12h17-22]
  • Aigle de Bonelli (aquila f. fasciata, Bonelli's eagle), 1 ind. juvénile 1ère AC en plumage frais [12h48-52]
  • Busard des roseaux (circus aeruginosus, western marsh harrier), 1 ind. femelle ad. [12h18-21]

12h48-12h52 / 
Toddé, le site (presque) parfait pour l'hivernage d'un Bonelli !

Il y a quatre ans presque jour pour jour (2011 10 30), Ornithondar documentait la présence d'un aigle de Bonelli (aquila fasciata, Bonelli's eagle) de première (ou seconde) année dans les parages du marais de Toddé*. Nous notions qu'au vu de son aisance et de la loi du plus fort qu'il imposait au site, le rapace y prenait sans doute ses quartiers d'hiver ! Avec mon complice Cheikh Aïdara nous relevions plusieurs dépouilles de hérons cendrés (ardea cinerea) à peine consommés, pas même déplumés, parfois juste foudroyés à la tête, ensanglantée: l'oeuvre probable de notre aquila qui a un faible pour l'ardéidé cendré - ou un antédiluvien différend avec lui,  utilisant l'échassier comme punching-ball puis comme épouvantail territorial... L'afrotropical pygargue vocifère (haliaeetus vocifer, african fish eagle) - dont un couple occupe un palétuvier solitaire au sud du marais, sur la rivière Ngalam- nourrit la même aversion pour le héron cendré et lui fait de temps à autre la peau, comme ça, pour le plaisir, sans vraiment le dépecer ni l'ingurgiter - à moins qu'il ne lui cherche quelque poisson au fond des entrailles !
En cette fin d'octobre (2015 10 25), et de mousson, c'est presque sans surprise qu'Ornithondar retrouve un aigle de Bonelli in situ. Pas le même sujet qu'en 2011, évidemment; celui de 2015 est aussi jeune, avec un plumage de premier automne plus frais encore que celui de son prédécesseur. Il évolue assez haut à la verticale de la brousse entre le marigot de Khant et le marais de Toddé, effectuant de larges cercles glissés pour inspecter son domaine de chasse: le garde-manger doit lui convenir, il y a de l'écureuil terrestre (xerus erythropus) et du lièvre des buissons (lepus saxatilis), du francolin à double éperon (francolinus bicalcaratus) et du ganga à ventre brun (pterocles exustus) voire un oedicnème du Sénégal (burhinus senegalensis) et une outarde de Savile (lophotis savilei) pour les jours de fête... Les pigeons, semi-domestiques ou roussards (columba guinea) des banlieues saint-louisiennes visibles au loin (Ngallele, Sanar, Université) pourraient bien aussi faire les frais de leurs divagations vers le marais de Toddé. Les douces ondulations sablonneuses recèlent dans leurs plis des replats à fonds herbacés entourés de tannes et de sols nus propices à la chasse en piqué ou en rase-mottes; les dunes sont comme des garrigues tropicalisées, avec de magnifiques parterres d'euphorbes (euphorbia balsamifera) au milieu desquels quelques arbres lui servent de perchoir ainsi qu'à l'autour sombre (melierax metabates), le circaète Jean-Le-Blanc (circaetus gallicus) ou le balbuzard pêcheur (pandion haliaetus). Au cours de leurs vagabondages d'avant maturité, les jeunes Bonelli aiment fréquenter les zones de marais: notre sujet de premier automne ne sera pas dépaysé, avec le marigot de Khant, le marais de Toddé et la rivière Ngalam ! Les sternes hansels (gelochelidon nilotica), les sternes caspiennes (sterna caspia) et même des sarcelles d'été (anas querquedula) qui vont bientôt s'y aventurer en feront parfois les frais... 

Nota: dans le Paléarctique occidental, d'où nous arrivent nos jeunes vagabonds, l'aigle de Bonelli est un rapace exclusivement méditerranéen et nord-africain - jusqu'au sud de l'Anti-Atlas marocain (cf. carte de distribution ci-dessous). Grâce à sa large répartition jusqu'aux confins chinois, l'espèce n'est pas (encore) inscrite à la liste des oiseaux menacés de disparition. Cependant, elle est presque partout en déclin et menacée autour de Mare Nostrum. On estime que l'Europe accueille de 920 à 1 100 couples. En France, seuls 32 couples sont en capacité de se reproduire, sous haute surveillance, en permanence menacés par les dérangements, les collisions, les noyades (oui oui, dans les bassins de rétention ou d'irrigation), et les tirs gratuits ou vengeurs de certains chasseurs qui n'aiment pas la concurrence pour la chasse au lapin ! 
Le bas-delta du Sénégal est reconnu comme étant le quartier d'hiver le plus méridional d'aquila fasciata (cf. carte de distribution occidentale ci-après). En fait il s'agit plus d'erratisme juvénile car les adultes ne s'éloignent guère de leurs sites de nidification, d'autant que la saison de reproduction s'étire de mi-octobre (premières parades) à fin avril (fin de la nidification - les aiglons seront à l'envol entre fin mai et juillet). Ce vagabondage juvénile est d'ailleurs géographiquement très diffus: certains choisiront la Crau française, à quelques coups d'ailes de leur lieu de naissance; d'autres feront la tournée des étangs - jusqu'en Sologne !- ou des estuaires français et ibères... D'autres longeront la côte du Sahara occidental pour gagner le littoral mauritanien et sénégalais entre Banc d'Arguin et delta du Sénégal. A leur retour prénuptial, les jeunes aigles continueront de prendre leur temps, notamment dans le nord du Maroc où il a été récemment constaté des stationnements printaniers de longue durée, de la part d'oiseaux au seuil de leur maturité sexuelle.




Ci-dessus: les évolutions altidunales d'un jeune aigle de Bonelli, hivernant en plumage frais
2015 10 25, 12h49-51 / © Photos par Frédéric Bacuez
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Ci-dessous: du premier automne (à d.) à l'âge adulte (à g.), l'aigle de Bonelli (aquila fasciata) atteint sa maturité sexuelle au bout de 3 à 4 ans
Carte de distribution dans le Paléarctique occidental: en jaune, zones de reproduction; en orange, zones d'erratisme juvénile (et hivernal)




12h17-12h22 /
Un pygargue immature houspillé par un busard des roseaux

Rejoints dans les thermiques par quelques pélicans blancs (pelecanus onocrotalus) mais bientôt contraints d'évacuer les ascendants soudainement réquisitionnés par 300 des géants deltaïques venus de nulle part, un immature de pygargue vocifère (haliaeetus vocifer) et une femelle de busard des roseaux (circus aeruginosus) ont quelques échanges aériens, tout en cerclant et pompant. L'aigle pêcheur, accompagné de loin par un adulte, est plus suivi que poursuivi, houspillé par le busard qui tente même de lui balancer quelque griffure de serres sur le manteau, en vain. Le roi des marais africain reste imperturbable. Jusqu'à l'arrivée des grands voiliers - la troupe de njagabaar !




Ci-dessus: dans les thermiques de midi, pygargue vocifère immature houspillé par un busard des roseaux femelle
2015 10 25, 12h21 / © Photos par Frédéric Bacuez
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Ci-dessous: pygargue vocifère immature, busard des roseaux, femelle adulte et pélicans blancs
2015 10 25, 12h19 / © Photo par Frédéric Bacuez



12h16-12h24 & 12h28-12h31 /
A la pompe, 300 pélicans blancs puis 240 grands cormorans !

Car au zénith tandis que la brousse est accablée comme les Hommes sous le cagnard et dans l'étuve, c'est dans le ciel que le spectacle débute, ici comme... en Haute-Savoie française: c'est l'heure des thermiques et donc des grands voiliers du ciel.  Partout à cette heure qui donne le torticolis à tous les ornithologues, cigognes, vautours et grands rapaces profitent des grands tourbillons invisibles pour s'élever, haut, très haut, patrouiller ou changer de secteur. Ce midi, soudain comme un tour de prestidigitation, voilà que 300 pélicans blancs (pelecanus onocrotalus) apparaissent à la verticale de notre gonakier, là-haut dans le ciel, chassant de fait le jeune pygargue et son pot de colle de busard. Ils arrivent d'où, on ne le saura pas ?! Ils cerclent en énorme groupe compact et pompent vers les altitudes troubles embrumées par les sables du désert, avant que d'un seul mouvement la troupe prenne plein nord vers le fleuve Sénégal, le Diawling mauritanien et le Djoudj sénégalais. Dans quelques semaines le début de la saison de reproduction va commencer, il est temps de rejoindre les nichoirs... Presque dans la foulée, et dans le même tourbillon, 240 grands cormorans à poitrine blanche (phalacrocorax carbo lucidus), adultes et jeunes sujets, prennent le relais de la grande ronde aérienne... Même aisance, même direction... A bientôt !



Ci-dessus et ci-après : 300 pélicans blancs et 240 grands cormorans à poitrine blanche dans les ascendants, 
à la verticale du Khant-Toddé
2015 10 25 midi / © Photos par Frédéric Bacuez
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