26, la peau des pythons, la chair des varans...


* Bango. Marigot de Lampsar, coté saumâtre -

Encore un python de Sebae (python sebae ssp. sebae) en moins sur le Lampsar ! En novembre déjà, deux autres de ces serpents, les plus grands d'Afrique - jusqu'à 7 m et 100 kg !-, avaient été ramenés au village, morts emprisonnés dans les filets de pêche qui traînent partout; j'avais vu la photo d'un de ces boïdés sur un téléphone portable: un spécimen volumineux, porté en écharpe sur les épaules d'un adolescent dans la ruelle des familles de pêcheurs bangotins. Cette fois, le python -2,80 m de cadavre rétracté, c'est dire qu'il dépassait trois mètres, vivant (cf. photo ci-contre) !- a été 'récupéré' dans l'enchevêtrement des résidus de filets de nylon qui ceinturent un jardin gagné sur le débouché du bolong de Khaye; un jardin hasardeux dans lequel son 'jardinier' amoncelle toutes sortes de déchets plastiques pour empêcher les eaux de trop inonder le domaine de bric et de broc... Une fois dépecé et vidé de sa graisse, le python a été rejeté sur la place du débarcadère, puis suspendu à un piquet de clôture dudit jardin par les enfants 'braconniers d'oiseaux'; les odeurs pestilentielles dégagées par le reptile dénudé ne gênant visiblement personne...


Ci-dessus et ci-après: python de Sebae écorché, Bango 2010 01 28 / Photo par Frédéric Bacuez dit Fretback

















Nota:
au contraire du relictuel lamantin (trichechus senegalensis, cf. rapport de 2010 01 27 ) à l'amont du barrage de Diama ou du varan du Nil (varanus niloticus) sur les rives du Lampsar, protégés par des croyances mystiques, même en perdition, le python de Sebae (python sebae)* est perçu comme un animal nuisible et dangereux par les habitants du delta; et en plus il est porteur de valeur marchande, ça n'arrange pas son cas ! Cela fait des décennies que les villageois savent aussi que les accompagnatrices toubabs des grrrrands chasseurs multipoches d'un célèbre hôtel des parages sont susceptibles de fondre d'émotion possessive devant une maroquinerie exotique, même mal préparée - ça fera encore plus authentique ! "Pensez donc ! Mon mari a chassé au milieu de ces fauves-là ! brewwww ! Mais quel aventurier !"
Le python de Sebae n'a pas de chance; il a beau être classé en annexe II de la Convention de Washington (CITES) comme espèce vulnérable passible de se retrouver en annexe I des animaux en voie de disparition, l'animal a tous les défauts du 'fauve', en effet, et tous ses attraits : pour certaines bouches délicates, c'est bon à manger, le boïdé, même si ce n'est pas le cas sur nos confins où l'on préfère le cormoran et la mouette, à défaut de poisson noble... Par contre, outre la peau, la graisse du python est ici recherchée comme onguent contre les rhumatismes dorsaux - les Chinois ne sont pas les seuls à croire aux chinoiseries dévastatrices ! Il faut dire qu'il y a de quoi lui faire la peau, au python de Sebae, pourtant non venimeux: connu pour son mauvais caractère (oui oui), sa puissance herculéenne (j'en ai connu un, au Burkina Faso, qui avait nuitamment renversé une automobile qui lui avait roulé dessus !), son goût pour la volaille -comme le cobra- et le petit bétail (toujours au Burkina, j'en ai photographié un qui digérait un chevreau dans des amas rocheux, cf. photos ci-après), le python ne fait pas moins peur que les autres serpents. A Bango, les riverains du marigot connaissent parfaitement l'animal, qui n'hésite pas à se faufiler près des palissades des cours, dans les vergers et autres plantations; ici, près de la maison où Tavernier tourna les scènes les plus moites de son célèbre 'Coup de torchon', c'est un python ayant avalé un rat géant de Gambie (cricetomys gambianus, gambian giant pouched rat), qui est laborieusement arraché aux branches de l'arbre autour desquelles il s'était enroulé; là, un des deux pythons morts en novembre (cf. ci-dessus) exhibe de ses entrailles un varan du Nil qui fait bien son mètre et des centimètres ! En décembre, un bouvier de Sinthiane, 'le' quartier peuhl de Bango, menant ses vaches comme chaque matin dans les vastes plaines alluviales en quête des herbes découvertes par le reflux saisonnier du fleuve Sénégal, se fait presque broyer le pied (un grand classique, notamment dans les rizières !) par l'animal à l'affût, n'était son chien qui met en fuite le molosse reptilien ! Tellement colosse qu'un jeune homme se rappelle encore d'un python, c'était en 2004 ou 2005, dont le corps spasmodique continuait encore de 'vivre', deux jours après avoir eu la tête guillotinée...






Ci-contre: python de Sebae repu, digérant un chevreau. Nobéré, sud du Burkina Faso, 1991 08
/ Photos par Frédéric Bacuez dit Fretback, tous droits réservés


* Le python de Sebae de notre delta (et de toute l'Afrique de l'Ouest, jusqu'aux confins sahariens - présence attestée en Mauritanie) est l'une des deux sous-espèces du python sebae (ssp. sebae, central african rock python, et nataliensis d'Afrique australe), et l'une des deux espèces de pythons exclusifs d'Afrique subsaharienne, avec le python royal (python regius, python ball, des savanes, beaucoup plus petit - 0,90 à 1,80 m). S'il est de la famille des boïdés (dont il existe, outre les pythons cités, trois autres espèces en Afrique: le boa de Müller, également présent au Sénégal; le boa javelot et le boa des sables couleuvrin), notre python est souvent appelé boa par confusion avec le boa constrictor d'Amérique latine. Le plus long des serpents du continent (de 0,60 m à la naissance à 4 mètres à l'âge adulte, exceptionnellement de nos jours jusqu'à 6 et 7 mètres, et un record de 9,40 mètres, pour 100 kilogrammes !) a une espérance de vie de 10 à 15 ans, mais il peut vivre jusqu'à 30 ans et tenir un an sans manger. Serpent ovipare (en moyenne de 30 à 50 oeufs, parfois jusqu'à 100, couvés pendant trois mois), le python de Sebae peut hiberner de trois à quatre mois si les conditions climatiques descendent sous les 70 à 80 % d'hygrométrie, si les températures (27 à 34° de jour) descendent la nuit sous les 16° - ce qui arrive dans la région de Saint-Louis... mais pas cette année, plutôt chaude, voire... anormalement chaude.
Tandis que les Sénégalais ont l'onction céleste pour se faire la peau des pythons, les migrants venus des Guinées s'installer sur les berges du delta n'ont en tout cas pas laissé leurs papilles dans le Fouta Djalon ! Employés, gardiens, vendeurs de fruits, pieux talibés des madrasas ndar ndar, les Guinéens comme la plupart des habitants des savanes et forêts d'Afrique occidentale ont un faible, eux, pour les varans*, même totémiques... des Bangotins. Sus donc au varan du Nil (varanus niloticus, cf. photos ci-dessous), discrètement mais passionnément... La chair du saurien est si tendre, son fumet entre veau et poisson, je le sais, j'en eus goûté, jadis, dans mes brousses de jeunesse... Bref, dès lors, si le varan arrive à éviter les innombrables pièges que sont les palangres qui barrent tous les cent mètres la largeur du Lampsar d''eau douce', s'il arrive à se dépétrer des mailles des non moins innombrables fouillis de nylon vert abandonnées dans les bas-fonds, les bolongs, les mares saisonnières et autres canneaux d'irrigation, il peut avoir droit au coup de massue final d'un Camara ou d'un Condé de Conakry ou Labé; et hop à la marmite ! En brochette ? ah ! ça fleure bon les connaisseurs...
Pitié de nous.











Ci-contre: - A l'extrême g., varan des savanes - A g. et à d., varan du Nil
Province du Zoundweogo, sud du Burkina Faso, 1991-1993
/ Photos par Frédéric Bacuez dit Fretback, tous droits réservés



*
Le varan du Nil (varanus niloticus, Nile monitor, cf. photos ci-dessus à d.) est le plus grand des lézards d'Afrique. Pouvant allègrement dépasser les 2 mètres, sa taille moyenne est de 1,60 à 1,80 mètres de long. Malgré sa corpulence, le varan du Nil est fort agile, doté d'instruments efficaces : une langue olfactive en stéréo, ultra sensible; une queue robuste lui servant de propulseur; de solides pattes à griffes non rétractiles lui permettant de ne pas ramper mais par contre de courir ou grimper dans les arbres, même sur les troncs les plus droits et lisses - je l'ai vu juché dans un eucalyptus des berges du Lampsar !-; une adaptation à la vie aquatique lui autorisant une nage rapide et une immersion d'une demi heure. Last but not least, le reptile plutôt solitaire a la capacité de se dresser sur ses pattes arrière pour se battre contre un autre varan, ou se défendre contre un prédateur -qui n'existe plus dans le delta, hormis l'Homme... A défaut de termitière (c'est le cas dans le delta), le varan du Nil occupera un terrier dans lequel il pourra déposer en juin-juillet (dans le delta) jusqu'à 60 oeufs couvés pendant de longs mois. Réputé pour son opportunisme alimentaire (des oiseaux, des rongeurs, d'autres reptiles et même de plus petits varans, mais aussi des larves, des insectes, des crabes, des batraciens, des poissons, et des escargots dont il raffole, et des oeufs, de crocodiles, quand il en reste...), le varan du Nil est un carnivore et un charognard qui n'hésite pas à fréquenter poubelles et décharges : il est donc à bonne table, au Sénégal... Quant à son cousin, le varan des savanes (varanus exanthematicus, plus petit et ramassé, de 80 à 100 cm, cf. photo ci-dessus à g.), il ne fréquente en effet que les savanes et n'est donc présent ni dans le nord sahélien ni dans les forêts du sud sénégalais.

Nota:
notule également reprise, pour partie, par http://www.saintlouisdusenegal.com/

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Galerie photos : le Traquet de Seebohm, du Maroc au Sénégal

Hyaenidae: appel à témoins...

Adieux : vole, maintenant, tonton Aïdara !