23, Journée mondiale des tortues: de Centrochelys sulcata dans le nord du Sénégal - et le sud de la Mauritanie

2014 01 11, tortue sillonnée baillant aux corneilles... Bango, Saint-Louis-du-Sénégal / Photo par Frédéric Bacuez

* De part et d'autre du fleuve Sénégal et dans le Ferlo -


Le 23 mai, c'est la Journée mondiale des tortues; comme chaque année... Quoi de neuf sur le front des chéloniens de part et d'autre du fleuve frontalier (nord du Sénégal et sud de la Mauritanie) ? Si la chance est au rendez-vous, j'entends hors les cours privées et les centres d'élevage, on pourrait observer ou déceler sous nos latitudes sahéliennes huit espèces de tortues (cinq océaniques, trois continentales) - sur les onze à douze recensées au Sénégal. Comme l'indique la liste ci-après, toutes sont en déclin: elles sont parfois plus nombreuses en captivité que dans leur biotope d'origine, et même répertoriées de façon anecdotique sur nos côtes en ce qui concerne les tortues marines. La situation n'est donc pas bonne pour les chéloniens de la région - et c'est un euphémisme que de l'écrire:


Ci-contre: logo en anglais de la Journée mondiale des tortues 2014


  • EXCLUSIVEMENT TERRESTRE:
  1. Tortue sillonnée (geochelone/centrochelys sulcata, african spurred tortoise), inscrite à la Liste rouge de l'UICN des espèces menacées, dans la catégorie 'Vulnerable' (VU, 1996) [lire ci-après]
  • SEMI-AQUATIQUES:
  1. Péloméduse roussâtre (pelomedusa subrufa ssp. olivacea, north african helmeted turtle), la seule tortue du Sénégal encore relativement répandue mais en déclin rapide - très souvent victime des filets dormants ou 'morts', elle est de surcroît consommée par les Hommes [voir ICI sur Ornithondar]
  2. Péluse d'Adanson (pelusios adansonii, Adanson's mud turtle), très localisée sur le fleuve Sénégal, à l'heure actuelle uniquement connue du lac de Guier [officiellement 'intégralement protégée' au Sénégal]
  • MARINES (par occurrences sur la Langue de Barbarie):
  1. Tortue verte (chelonia mydas, green turtle), inscrite à la Liste rouge de l'UICN des espèces menacées, dans la catégorie 'Endangered/En danger' (EN, 1986) [voir ICI sur Ornithondar et LA]
  2. Tortue olivâtre (lepidochelys olivacea, olive ridley turtle), inscrite à la Liste rouge de l'UICN des espèces menacées, dans la catégorie 'Vulnerable' (VU, 2008) [voir ICI sur Ornithondar]
  3. Tortue caouanne (caretta caretta, loggerhead turtle), désormais inscrite à la Liste rouge de l'UICN des espèces menacées, dans la catégorie 'Endangered/En danger' (EN, 1996) après avoir été dans la catégorie 'Vulnerable' (VU, 1986-1994)
  4. Tortue luth (dermochelys coriacea, leatherback sea turtle), globalement inscrite à la Liste rouge de l'UICN des espèces menacées, dans la catégorie 'Vulnerable' (VU) [voir ICI sur Ornithondar]
  5. Tortue imbriquée (eretmochelys imbricata, hawksbill turtle, tortue à bec de faucon), inscrite à la Liste rouge de l'UICN des espèces menacées, dans la catégorie 'Critically endangered/En danger critique d'extinction' (CR, 2008)

2014 01 28, choucador à oreillons bleus et bulbul des jardins aimeraient bien partager le festin de sieur sulcata...
/ Photo par Frédéric Bacuez

A tout seigneur tout honneur... la sulcata

La tortue sillonnée (centrochelys sulcata) doit son nom aux profonds sillons qui parcourent sa dossière. Elle est le plus gros chélonien continental au monde, la troisième tortue terrestre après les tortues des Galapagos (Pacifique) et des Seychelles (Océan indien). Le mâle atteint aisément les 100 kilogrammes et mesure en moyenne 80 centimètres. Plus petite, la femelle ne pèse que 60 kilogrammes. Le dimorphisme sexuel le plus visible est ce rostre en forme de coeur (en fait une écaille subjugulaire, cf. photo en haut de notule) qui soutient le cou du mâle, lui permettant d'enfourcher un éventuel rival pour le renverser. Comme le ferait un lutteur...
Cette géante qui peut être centenaire est un fouisseur des vastes espaces sahéliens plutôt sablonneux, au couvert d'acacias peu dense mais avec un bon tapis herbacé saisonnier. S'il y a ici et là quelques bosquets de salvadoras persicas ou des buissons d'euphorbes, des baobabs chacal, des arbres à couilles ou des arbustes à balais, avec une nette prédilection pour balanites aegyptiaca et boscia senegalensis, le chélonien pourra creuser entre les racines un ersatz de terrier à l'ombre précaire, dans lequel il s'abritera, surtout de la fraîcheur nocturne en hiver, et dont il se servira comme d'une bauge pendant l'hivernage. Ces abris servent volontiers aux chats sauvages comme aux phacochères. Mais la tortue sillonnée apprécie avant tout la chaleur intense du Sahel... Elle peut se dispenser de boire pendant plusieurs mois mais ne rechigne pas, lors de la mousson, à s'abreuver et même à prendre des bains de boue (cf. photos ci-après). Son alimentation est essentiellement végétale pendant la saison des pluies, beaucoup plus opportuniste voire quasi inexistante durant l'interminable saison sèche: fruits sauvages, écorces et racines d'arbres, cadavres et crottes d'animaux, et même de la terre (géophagie) !

Ci-dessous: tortue sillonnée à l'abreuvoir (2013 12 10, à d.) et dévorant goulûment une pastèque (2013 11 27, à g.),  
Bango, Saint-Louis-du-Sénégal / Photos par Frédéric Bacuez



Ci-dessus: tortue sillonnée à l'ombre (2013 11 10, à d.) et avec gonolek de Barbarie (2013 12 13, à g.)   
Bango, Saint-Louis-du-Sénégal / Photos par Frédéric Bacuez

Quasiment éradiquée de son milieu naturel d'origine

Originellement, la tortue sillonnée habitait l'ensemble de la bande subsaharienne depuis le Sénégal septentrional et la Mauritanie (à l'ouest) jusqu'à l'Erythrée (à l'est)*1, tantôt au seuil du désert (Mauritanie, Aïr et Termit du Niger) tantôt aux franges des savanes (complexe du W aux frontières des Burkina Faso, Niger et Bénin, ou dans le nord de la Centrafrique). Malheureusement notre reptile qui ne passe pas inaperçu au milieu des horizons dépouillés a disparu de la majeure partie de son aire de distribution: 90% ? 95% ? Moins ? Plus encore ? Peu d'études et d'enquêtes ont été menées sur la situation de sulcata mais on peut parcourir des centaines de kilomètres carrés dans des habitats parfaitement idoines et ne jamais plus en rencontrer ! Et ça ne date pas d'hier... Une certitude: elle ne survit à l'état sauvage que dans de rares sites reculés, souvent hors des zones dites protégées: quelques métapopulations dans le Termit nigérien, peut-être dans l'est mauritanien, des effectifs moins relictuels au Tchad. C'est à peu près tout. Au Sénégal, les rescapées des Ferlo nord (RFFN, 4 870 km2) et sud (RFFS, 6 337 km2) - et du Boundou limitrophe ?- pourraient être renforcées par le transfert régulier de tortues d'élevage en provenance des enclos de la ferme de Noflaye (banlieue de Dakar) et de la réserve spéciale de faune de Gueumbeul (RSG, Gandiolais)... vers d'autres enclos, plus vastes (500 hectares), de la réserve (spéciale, toujours...) de Katané, au coeur du Ferlo nord... En Mauritanie, l'association Dbagana effectue chaque année des (re)lâchers dans les dunes rouges du Trarza. Car ce sont des décennies de collecte d'individus en âge de reproduction par les touristes, les chasseurs, les bergers, les prospecteurs miniers, les militaires et les trafiquants*2 de tous ordres qui ont entraîné la disparition du paysage sahélien de cet extraordinaire chélonien antédiluvien. La tortue sillonnée est inscrite à la Liste rouge de l'UICN des espèces menacées, dans la catégorie 'Vulnerable' (VU, 1996), ainsi qu'à l'appendice II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) - "populations à surveiller de près"... c'est bien de le dire maintenant que c'est un peu tard !

*1 D'ouest en est: Mauritanie, Sénégal, Burkina Faso, Niger, Tchad, Centrafrique, Sud Soudan, Soudan, Éthiopie, Erythrée. Peut-être au nord du Bénin et sans doute du Cameroun. Au Mali comme au Nigeria, cela semble de l'ordre du voeu pieux, de nos jours...
*2 Lire: Nicematin.com/gonfaron/sept tortues sillonnées ont pris l'avion pour Dakar

A domicile et dans les fermes d'élevage

Il en va de la sulcata comme de toutes ces espèces arrachées à la nature, remisées dans les cours privatives comme prises de guerre, comme jouets pour les enfants, comme porte-bonheur, comme symboles de prospérité ! Les hôtels ne sont pas en reste, ça fait couleur locale ! A l'instar de la grue couronnée (balearica pavonina pavonina) au Mali, il y a aujourd'hui au Sénégal plus de tortues sillonnées au fond des cours et des jardins que dans les dunes du Sahel ! Increvables - qu'on croit-, plus durables qu'un oiseau en cage et pas compliquées pour un cauri, peu regardantes sur l'alimentation - qu'on croit aussi-, on finit par les oublier, abandonnées à leur interminable et silencieuse solitude, libres entre quatre murs... Maltraitées par les Hommes, blessées par des chiens, parfois enchaînées ou entravées au bout d'une corde, les plus cupides des bipèdes s'en débarrassent pour quelques billets CFA, au plus offrant, si possible à l'expatrié commiséreux: à Ouagadougou (Burkina Faso) j'en avais récupéré une, dans cet état, borgne et la dossière tailladée (cf. photos ci-dessous au centre et à d.).

Ci-dessous: à g., 'village' des tortues à Bazoulé (Burkina Faso, 2003 07) - au centre, tortue borgne accueillie à domicile, Ouagadougou (Burkina Faso, 2006 04) - à d., première pluie et premier bain de boue, Ouagadougou (Burkina Faso, 2006 04 26) / Photos par Frédéric Bacuez


Un peu partout en Afrique occidentale de petits centres s'improvisent 'fermes d'élevage' sans véritablement participer d'un programme coordonné de réintroduction des tortues dans des biotopes protégés et sécurisés: ces endroits 'touristiques' servent plus de garderies d'exposition, et dans le meilleur des cas de sensibilisation à la cause des chéloniens - comme à la mare aux crocodiles sacrés de Bazoulé, près de Ouagadougou (Burkina Faso, cf. photo ci-dessus à g.). Au Sénégal et en Mauritanie heureusement, cinq centres font oeuvre utile (récupération, nursery, crèche) et s'investissent du mieux qu'ils peuvent, en collaboration avec les services de l'Environnement et l'appui technique et financier d'ONG européennes, avec comme objectif la réintroduction des tortues sillonnées dans leur milieu d'origine - enfin, on l'espère...:

  1. En Mauritanie, l'association Dbagana fondée par Bamba Samory Soueidatt (quartier d'El Mina, Nouakchott): voir ICI et sur Facebook
  2. En Mauritanie encore, le tout jeune 'village des tortues' de l'association Naforé à Bouhajra (parc national du Diawling, PND)
  1. Au Sénégal avec SOS Sulcata, le 'village des tortues' de Noflaye' (1993, in 'réserve spéciale botanique' du même nom à Sangalkam, à 35 km dans la banlieue de Dakar), dirigés par Tomas Diagne, accueille désormais plus de 250 tortues sillonnées: voir ICI
  2. Dans le nord du Sénégal encore, la réserve spéciale de Gueumbeul (RSG, 1983, dans le Gandiolais, région de Saint-Louis) possède aussi un enclos de reproduction des tortues à partir duquel des relâchers sont effectués dans le Ferlo, précisément à Katané (cf. ci-après)
  3. Dans le nord du Sénégal toujours, la réserve spéciale de Katané*, au sein de la réserve de faune du Ferlo nord (RFFN, région de Ranerou), a accueilli en 2006 et 2011 des tortues venues de Noflaye et de Gueumbeul dans un enclos de 500 hectares. La perspective d'un (re)lâcher dans les deux réserves du Ferlo reste néanmoins bien hypothétique en l'état actuel desdits sanctuaires (à bétail domestique !), bien peu propices à tout 'renouveau' de sulcata... et du reste !
* Lire l'excellent document: Ferlo/Rapport Sulcata 2007.pdf (Rapport Sulcata, juillet 2006 à février 2007 – Claire Clément – Noé Conservation – SOPTOM, Avril 2007)
Ainsi que: Réintroduction des tortues sillonnées dans la réserve de Katané
Voir aussi: African Chelonian Institute  

Réintroduire... mais où ?

Ces transferts d'un enclos à l'autre démontrent malheureusement que les conditions de réintroduction in vivo sont loin d'être rassemblées - et ce n'est pas pour demain ! Si les Mauritaniens font des lâchers un peu à l'aveugle, c'est que les territoires dans lesquels ils donnent leur chance à de jeunes sulcatas (le Trarza, notamment) sont très peu habités, et peu parcourus par le bétail qui arase tout ce qui est à portée de langue dans le nord du Sénégal: du couvert arbustif à l'herbe de mousson, en un rien de temps ! Faute de volonté politique pendant des décennies pour diversifier les activités et protéger les brousses sylvo-pastorales héritées de l'Indépendance, le Ferlo est devenu une zone exclusivement... pastorale. Son pléthorique troupeau y est maintenu en vie grâce à la stupide implantation d'énormes forages (merci aux "partenaires" de la "coopération" !), lesquels ne font que ruiner la précarité environnementale du Sahel en permettant la démultiplication d'un cheptel qui compense la qualité par la quantité... Et pourquoi ne pas tenter des lâchers sur des sites moins courus par le bétail, moins dégradés aussi: les Trois-Marigots ? Non ?

Ci-dessous: 2014 01 11, tortue sillonnée prenant les derniers rayons du soleil du jour... Bango, nord du Sénégal 
/ Photo par Frédéric Bacuez

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