22, échouages sénégalais*

2003 06, sur les plages de la Langue de Barbarie... / Photo par Frédéric Bacuez

* De Dakar à la Langue de Barbarie -

22 mai, Journée internationale de la biodiversité
. Dans la soirée du 20 au 21 mai 2008, 81 'baleines pilotes' de l'espèce tropicale macrorhynchus - dont une trentaine de femelles prêtes à mettre bas, s'échouent sur la plage de Yoff-Thongor, dans la banlieue nord de Dakar (cf. http://ornithondar.blogspot.com/2008/05/21-pres-dune-centaine-de-globicephales.html). 48 d'elles sont remises à l'eau grâce à l'exceptionnelle réactivité des pêcheurs; toute la nuit et jusqu'au matin, ces derniers ont tracté les cétacés vers le large à l'aide de cordes attachées à leurs pirogues à moteur. 33 des mammifères marins, des adultes trop lourds, n'ont pu être sauvés. Sans doute aussi lourds que le sommeil des 'autorités compétentes', incapables de réquisitionner, dans une conurbation de trois millions d'habitants, un tracteur ou un bulldozer, ou un camion de pompiers.
Les 700 kilomètres de côtes sénégalaises sont mal parties. Mal en point: érosion des plages et occupations anarchiques du front de mer, pollution totalement hors de contrôle de la baie de Hann*, au sud de la capitale; rejet dans l'Atlantique des déchets, tous les déchets, quasiment pas collectés et traités: le Sénégal devient une décharge à ciel ouvert, fleuves, lacs et et océan en sont les incinérateurs - qu'on croit. La mer est une chasse privative des armadas européennes et asiatiques, ne laissant que du menin fretin aux pêcheurs sénégalais mal outillés. L'achat des consciences sur le dos de l'ignorance et de la misère fait le reste. On y rajoutera: l'absence totale de notion du 'bien commun', collectivement 'durable' - c'est que ça s'apprend, cette idée saugrenue, puis ça se fait respecter par la Loi... Malheureusement, ce n'est pas le genre de 'patriotisme' qui fait vibrer les foules, c'est vrai.

Au Sénégal, comme dans tous les pays pauvres à l'Etat faible et dépendant, baleines, requins, dauphins et tortues, symboles mythiques de la biodiversité marine, ne sont pas à la fête au pays de la Teranga, eux non plus, à Saint-Louis comme à Dakar... Quelques exemples illustratifs:

- A Dakar, les 'baleines pilotes' échouées à Yoff sont en réalité des dauphins de l'espèce globicéphale. Le globicéphale tropical (globicephalus macrorhynchus, short-finned pilot whale, cf. http://www.cms.int/reports/small_cetaceans/data/G_macrorhynchus/g_macrorhynchus.htm) est un delphinidé à "tête globuleuse" de cinq (femelles) à huit mètres de long (mâles) pour un poids pouvant atteindre trois tonnes. Des nageoires particulièrement longues et une empreinte blanc grisâtre en forme d'ancre sur la gorge, le globicéphale  noir est bien connu des pêcheurs. Souvent dans le sillage ou l'étrave des bateaux, il fréquente volontiers les eaux côtières, en grand troupeau de dix à cent, voire un millier d'individus. Peu migrateur, il se déplace au gré des bancs de calamars, seiches et parfois de morues et maquereaux, dont il se nourrit et qu'il peut aller chercher jusqu'à des profondeurs de mille mètres. On dit du mammifère marin qu'il est le dauphin qui 'apprend' le plus vite en captivité. Son sens élevé de l'empathie le rapprocherait même de certaines caractéristiques de l'éléphant d'Afrique; chaque membre du groupe a un rôle spécifique: les mâles, peu nombreux, assurent la protection familiale contre les orques et requins, leurs prédateurs; les adolescents et les subadultes ont en charge l'encadrement des plus jeunes. Le développement d'un petit globicéphale, mis au monde tous les deux à trois ans seulement, est comparable à celui du petit d'Homme: la maturité n'est atteinte qu'à l'âge de neuf-quatorze ans. Comme chez les pachydermes*1 de la savane, les vieilles femelles sont souvent les matriarches du groupe, incontestées. La sociabilité hiérarchisée est aussi la faiblesse des globicéphales: la troupe suit aveuglément le chef 'pilote', d'où leur surnom. Cette confiance exclusive est souvent à l'origine de leurs échouages en masse.

Ci-dessous: 2008 05 21, plage de Yoff-Thongor, Dakar, l'échouage des globicéphales tropicaux / Kamikazz-photo


Sur les lieux de l'hécatombe, Haïdar El Ali*2, de l'association sénégalaise Oceanium*2, rappelle qu'il y a une trentaine d'années un échouage similaire s'était produit sur la même plage de Yoff; les Anciens du quartier le confirment. Ils n'ont pas oublié qu'à l'époque bon nombre des riverains avaient été intoxiqués après avoir consommé la chair des "baleines". Cette fois, seule une carcasse a été dépecée. Le pêcheur Iba Ndieye explique: "on n'a pas dormi de toute la nuit, on a appelé les autres pêcheurs pour sauver les baleines". Sur les fora des médias en ligne qui rapportent le fait-divers, les commentaires vont bon train, perfides: "consommer des baleines ? Le peuple a vraiment faim !", dit l'un; un petit plaisantin parle de "yassa baleine" tandis que les interprétations ésotériques pleuvent: ici, "ces baleines se sont suicidées en arrivant au Sénégal à cause de la cherté de la vie"; là, "Dieu nous a remis nos cadavres [des îles Canaries, ndlr.] victimes des incuries de Wade", et c'est reparti pour un 'djafoulement' - comme on dit au Burkina Faso- contre la gouvernance actuelle: politicailleries et paupérisation. L'Agence de Presse du Sénégal (APS) qui ne se mouille pas (sic) relaye les doctes explications d'un agent de la Direction des industries de transformation de la pêche en affirmant, sans rire, que les globicéphales ont été les "victimes d'une faible pression atmosphérique marine"... Quand les (vrais) spécialistes ne disent que leurs incertitudes, avançant quelques hypothèses, toutes sortes d'hypothèses: pollution, sonar dévoyé, suicide collectif, réchauffement climatique, voire volonté des mammifères d'un retour sur terre...

Déjà, le 14 mars dernier, c'est probablement l'hyper pollution de la baie de Hann*, vue d'avion une immensité huileuse, qui a achevé cette authentique baleine (à bosse ? megaptera novaeangliae) blessée de près de douze mètres venue s'échouer sur les plages sordides entre Rufisque et Bargny, dans la banlieue sud de Dakar. Le 19 juin 2004, c'était la plage de Saint-Louis qui avait réceptionné la dépouille d'un jeune cachalot (physeter macrocephalus).


* Prolonger: 'Le décor peu reluisant de la baie de Hann', par Diagane Sarr, Le Soleil 2011 07 15,
 http://fr.allafrica.com/stories/201107150824.html

- Sur la côte nord du Sénégal, des hécatombes de dauphins sont régulièrement constatées. Notamment en mai et juin. En juin 2004, une expédition scientifique internationale associant Oceanium avait parcouru l'infinie plage de sable qui court de l'(ex)embouchure du fleuve Sénégal, au bas de la Langue de Barbarie, jusqu'à Nouakchott, capitale de la Mauritanie. On y avait dénombré les cadavres de 136 dauphins, de plusieurs espèces, de 2 globicéphales, de quelques tortues luth et tortues vertes, et d'importantes quantités de poissons de grande taille*3.

Ci-contre: 
à g., dauphins communs échoués au sud de la Langue de Barbarie
/ 2003 06, photo par Frédéric Bacuez -
à d., tortue verte échouée au nord de la Langue de Barbarie, plage de Sal-Sal
/ 2011 07, photo par Eddy Graëff pour Ornithondar


Au niveau du parc national de la Langue de Barbarie (PNLB, un écosystème intercotidal de 2000 hectares prolongés en mer par une Aire marine protégée - hélas virtuelle, AMP), ce sont les tortues qui deviennent une quasi fiction. Il y a dix ans, on y dénombrait encore quelques dizaines de nids au pied du cordon dunaire, fréquenté par trois à cinq espèces de tortues marines: la verte (chelonia mydas), la luth (dermochelys coriacea), l'imbriquée (eretmochelys imbricata ssp. imbricata), voire l'olivâtre (lepidochelys olivacea) et la caouanne (caretta caretta). Après 216 sorties sur le terrain - dont 144 nocturnes- entre 2000 et 2006, les écogardes du parc national*4 se sont fait une raison - comme pour les éléphants du Niokolo Koba*1: il n'y a plus aujourd'hui aucun nid*5 de tortue marine sur la Langue de Barbarie. Et ce, probablement depuis le milieu des années '90 du siècle passé. Seulement des cadavres, de deux tortues imbriquées, de deux tortues olivâtres, de sept tortues vertes, de sept tortues luth. Celles-ci ne fréquentent plus la zone, ou alors épisodiquement lors de leurs migrations depuis la Mauritanie vers le sud. L'ouverture irréfléchie d'une brèche artificielle dans le cordon en amont de la réserve naturelle (2003), afin d'éviter l'inondation de la ville de Saint-Louis, a surtout permis de déverser en quantité industrielle dans l'océan tous les déchets solides dont se débarrassent allègrement les habitants humains du delta. Les tortues qui confondent les sacs plastiques avec les méduses dont elles raffolent meurent d'occlusion intestinale; mais ça, c'est aussi le sort des moutons de la terre ferme...

*1 Entre 10 et 30 individus escomptés dans les années '80 du siècle passé, réduits à moins de 5 vagabonds au début de ce siècle, les éléphants du Sénégal ont été recherchés par les Eaux & Forêts durant les hivernages 2007, 2008 et 2009 dans les profondeurs du parc national du Niokolo Koba; en vain: on se contentera de traces pour toujours y croire...
*2 Haïdar El Ali, à la tête d'Oceanium (Dakar) a été cité par le journal français Le Monde parmi les 100 personnalités les plus actives en matière de défense de l'environnement. L'homme n'a pas que des amis, au Sénégal, son pays...
http://www.oceanium.org/ et http://oceanium.blogspot.com/
*3 Lire: http://ornithondar.blogspot.com/2004/06/21-une-hecatombe-de-dauphins-et-de.html
*4 http://www.ecogardespnlb.sn/
*5 Mise à jour 2011 07: 4 nids découverts par les écogardes du PNLB lors de la mousson 2008, confirmés lors de la mousson 2010, après quinze ans sans ponte avérée ! Lire: http://ornithondar.blogspot.com/2011/07/7-un-cadavre-de-tortue-verte-sal-sal.html

*
Article initialement paru le 24 mai 2008 dans le journal en ligne www.lesaintlouisien.com (défunt)

  

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